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Nécrologie : Royal Kass n'est plus

KALUX FM
Mali
« Gao, la résistance d’un peuple »
En 2012, alors qu’il vient de terminer son 2ème film, «Couleurs arc en ciel», consacré à la fabrication et l’histoire du textile traditionnel malien, le réalisateur Kassim Sanogo entend à la radio le témoignage d’un homme qui a été amputé au nom de la charia par ceux qui occupent la ville de Gao dans le Nord du Mali. Il le rencontre, et comprend qu’une bonne partie de ce qui se passe dans la Cité des Askia est passée sous silence. Il prend contact avec ses amis qui vivent là-bas pour en savoir davantage. C’est de ce qu’il entend de leurs bouches que l’idée d’écrire et réaliser son 4ème documentaire est née.
Ce film, « Gao, la résistance d’un peuple », produit par «L’Echangeur » et « Premiers Films Productions », a été projeté en avant-première, le vendredi 5 octobre 2018, dans le cadre du « Festival Francophonie Métissée », au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, devant une salle comble.
Une salle comble, en effet, qui a été très réactive lors du débat qui a suivi la projection. Le film a été très apprécié d’un point de vue cinématographiq
ue. L’alternance d’images de témoignages, de vie quotidienne du peuple, de scènes filmées en direct en 2012, et de séquences de l’émission hebdomadaire de Radio Naata, pendant laquelle l’Histoire du peuple songhoi est racontée à deux voix par l’animateur et un griot musicien.
A travers ce film, on découvre surtout la complexité de la situation qui prévalait à Gao en 2012. L’évolution des relations entre les groupes armés qui régnaient sur la région à cette époque-là, d’une part les indépendantistes du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) et d’autre part, les djihadistes du MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest), celle entre les habitants eux-mêmes et leurs occupants, la résistance populaire, particulièrement celle des différents groupements de jeunes, face aux règles ultra-rigoristes et à la violence qu’ils imposaient aux populations, la frustration ressentie par beaucoup, au Nord du pays, face à leurs concitoyens qui vivent au Sud, et l’amertume des gens qui se sentent abandonnés par l’Etat malien. Resistance d’un peuple, mais aussi compromis, pour ne pas dire collaboration, avec les djihadistes pour chasser le MNLA, et pour préserver un peu de liberté d’action au quotidien, ce qui a été peu montré par les média en général, les média occidentaux en particulier.
Le réalisateur a répondu à quelques questions :
- Kassim Sanogo, une fois arrivé à Gao, quelles difficultés avez-vous rencontrées pour tourner votre film ?
*Je n’ai pas eu de difficultés car, même si je ne connaissais pas la ville, mes amis natifs de la ville, qui sont d’ailleurs les témoins principaux dans le film, m’ont introduit, et permis de rencontrer d’autres personnes.
- Tout à l’heure, pendant le débat avec le public, j’ai été surprise de vous entendre dire que vous étiez d’accord avec la rébellion.
*Je n’ai pas dit ça, j’ai dit que je comprenais cette lutte indépendantiste. Les Touareg indépendantistes sont très très minoritaires, ils auraient du intégrer les autres communautés à leur lutte pour atteindre leurs objectifs, ils ne l’ont pas fait, c’est pour ça, qu’au début, ils se sont fait épauler par les djihadistes.
- Votre film sera-t-il projeté au Mali ?
*Effectivement, deux projections sont prévues à Bamako en janvier 2019. L’une au Cinéma Magic Babemba, et l’autre à l’Institut français du Mali. Fin janvier, nous devrions faire une projection à Gao.
- Ne craignez vous pas que les gens de Gao réagissent, car dans le film, vous révélez des facettes de cette période qu’ils préfèreraient peut-être ne pas voir divulguées ?
*Non, je pense même que les populations me reprocheront de ne pas avoir tout dit. Vous savez, toutes les personnes que j’ai filmées avaient tellement de choses à dire. Les gens ont actuellement vraiment ras la tête contre les groupes armés, contre le gouvernement malien, ils n’en peuvent vraiment plus. J’ai été obligé de couper beaucoup de séquences, vraiment beaucoup, on ne peut malheureusement pas tout conserver dans un film de 55 minutes.
- Avez-vous d’autres projets de films ?
*Je ne prémédite pas le sujet de mes films. Je me décide quand je suis envahi par un sujet, quand je ne peux plus faire autrement que d’en parler dans un film.
Aussi connu sous le nom de « Roi Kass », Kassim Sanogo vient du « hip-hop roots », ce monde underground qu’il décrit en 2008 dans son 1er documentaire « Ça vibre dans nos têtes». A cette époque, il termine son mémoire de philosophie à Bamako, avant de passer deux ans au total en résidence d’écriture, de prise de vue et technique de réalisation, au Mali, au Burkina-Faso et au Sénégal, grâce à AFRICADOC, un programme mené par l’association Ardèche-Images pour le développement du cinéma documentaire africain. Puis, il fait un Master 2 de réalisation de documentaires et création, à l’université Gaston Berger, à Saint Louis, au Sénégal, avant de rentrer à Bamako où il travaille pendant deux ans à la télévision malienne. Il retourne en France où il suit un programme « université d’été » à la FEMIS, la prestigieuse école de cinéma française. De retour au Mali, il travaille notamment avec le grand cinéaste Souleymane Cissé en tant qu’assistant. Il bénéficie plus tard d’une bourse pour étudier le domaine de la fiction à l’Ecole normale supérieure à Toulouse dans le sud-ouest de la France. Dans son 3ème film, « La connaissance » (Donko), réalisé en 2013, il « emmène le spectateur au cœur de la création artistique malienne de son époque à travers la vie d’artiste de Drissa Konaté, un peintre malien autodidacte ». Kassim Sanogo vit à Paris depuis 2014, et retourne au Mali deux à trois fois par an.
Françoise WASSERVOGEL
(article paru le 9 octobre 2018 dans l’hebdomadaire LE REPORTER – Mali)